Comment élever un fils féministe ?

 

 

Chez émoi émoi, on est persuadé que les inégalités liées au genre peuvent être en partie gommées par l’éducation de nos filles.  Et de nos garçons. Quand Aurélia Blanc écrit Tu seras un homme féministe mon fils (ed. Marabout), elle répond à un vide abyssal de ressources. À l’époque, il n’existe pas d’ouvrages de référence en la matière. Enceinte de son premier enfant, la journaliste se lance dans l’écriture d’un manuel anti-sexiste à destination des parents de garçons. C’est évidemment passionnant. Et l’on se demande pourquoi, il n’existait pas avant.   

« Je suis heureuse que nous ayons commencé à élever nos filles comme nos fils, mais cela ne fonctionnera jamais tant que nous n’aurons pas élevé nos fils comme nos filles. » Gloria Steinem, The New York Times

 

Comment faire pour éduquer un petit garçon antisexiste dans une société sexiste ?
Remontons le fil : en 2017, la journaliste Claire Cain Miller écrit dans le New York Times un article intitulé : « Comment élever un fils féministe ? ». Elle y dit : « Si nous voulons créer une société équitable, dans laquelle tout le monde peut s’épanouir, nous devons aussi donner plus de choix aux garçons. Comme le dit la célèbre féministe américaine Gloria Steinem cité dans l’article : Je suis heureuse que nous ayons commencé à élever nos filles comme nos fils, mais cela ne fonctionnera jamais tant que nous n’aurons pas élevé nos fils comme nos filles. » Quelques semaines plus tôt le Huffington Post publie un article dans lequel il est titré : « Plutôt que d’apprendre le self-défense à ses filles, apprendre le respect à ses fils. » Suivront d’autres articles qui nourrissent le travail d’Aurélia Blanc, en pleine écriture de son livre : « Cet intérêt nouveau pour l’éducation des garçons n’aurait sans doute pas eu la même ampleur sans l’électrochoc de l’affaire Harvey Weinstein et du mouvement #metoo. » ajoute l’auteure. Les langues sur les violences masculines faites aux femmes se délient et impulsent une prise de conscience sur notre responsabilité collective. Aurélia Blanc s’interroge alors : « Mais comment faire, concrètement, pour éduquer un petit garçon antisexiste dans une société sexiste ? Comment sommes-nous censés nous débrouiller pour sensibiliser les futurs hommes – ceux qui sont donc, par définition, les plus à même de tirer profit de cette domination masculine – aux enjeux féministes ? « . 

Des attentes avant même la naissance. 
Ne pas connaître le sexe de son enfant avant la naissance, c’est le choix qu’Aurélia et son conjoint ont fait. Et cela a rapidement soulevé des questions : fille ou garçon, cela changerait quoi ? La couleur de la chambre ? Le motif sur le pyjama ? La manière d’aborder sa parentalité ? « Il y a un tabou que l’on observe chez les femmes qui portent un message féministe. Celui de craindre de donner naissance à un garçon et de ne pas avoir les armes pour l’élever comme on l’entend. » Une pensée partagée par l’auteure elle-même durant sa grossesse : « J’avais ce sentiment diffus qu’avec une fille, je saurais quoi transmettre, quoi dire, quoi faire. Instinctivement, je saurais quelles armes et quels modèles lui donner pour qu’elle devienne une femme libre et indépendante, une personne confiante en elle et en ses rêves, capable d’affronter un monde inégalitaire…Bref, je voyais très bien (du moins en théorie) le cap à suivre pour élever une fille en cohérence avec mes valeurs féministes. Mais un garçon, là… c’était une autre paire de manches. » La question de l’éducation des garçons en terres égalitaires est si peu renseignée, qu’elle porte en elle le doute et la crainte de ne pas y arriver : « Pour nombre de parents féministes, élever une fille dans un monde misogyne, c’est, finalement, avoir le sentiment de contribuer à lutter contre l’injustice et les inégalités. C’est être du bon côté de la barrière, en quelque sorte. Alors qu’éduquer un garçon en terre patriarcale, c’est prendre le risque de voir un jour son rejeton devenir une partie du problème. »

 

« Notre discours peut changer les choses, le ton que l’on prend, notre ouverture au monde. En étant spontanément inclusif dans nos discours, on intègre naturellement les bases de l’égalité des sexes. « 

 

Rose pour les filles, bleu pour les garçons.
Et encore plus depuis les années 1990. Poussés par des enjeux commerciaux forts, les enseignes de divertissements, d’équipements et de mode pour enfants jouent les codes couleurs pour pousser à la consommation. Pourquoi proposer un vélo rouge qui se passera dans la fratrie sans « aucun souci » quand on peut le décliner dans des couleurs (trop) marquées ? Heureusement, on voit aussi apparaître des marques qui proposent volontairement des produits moins stéréotypés. « La question du marketing genré n’est pas anodine car l’environnement direct de nos enfants est le point de départ, la pierre à l’édifice. Les jeux, les jouets, les couleurs genrés ont des effets sur leur approche de la vie, du développement, des compétences, des métiers qu’ils feront, de la manière dont ils se projettent. » souligne Aurélia Blanc. Derrière cette crainte de faire porter aux garçons du rose, de leur offrir des poupées, de mettre des barrettes dans leurs cheveux se cachent, par ailleurs, une peur de leur féminisation, voire de l’homosexualité : « Les injonctions à la virilité commencent dès la toute petite enfance. Cela passe par la parole, les commentaires, les remarques… » alerte Aurélia. Alors, comment agir, comment faire, que dire à nos enfants, dès le plus jeune âge, pour ne pas instaurer de stéréotypes genrés ? « Notre discours peut changer les choses, le ton que l’on prend, notre ouverture au monde. En étant spontanément inclusif dans nos discours, on intègre naturellement les bases de l’égalité des sexes. « On dira par exemple : Tu t’es bien amusés avec tes copains à une fille au lieu de systématiquement dire « copines ». » L’éducation pour une vision égalitaire se fait aussi par la déconstruction des fausses représentations liées au féminin et au masculin. » En effet, sont globalement véhiculées les idées du type :  « Les filles minaudent, charment leur papa, les garçons sont durs, ont du succès avec les filles, sont les rois de la crèche etc… ». Des constructions stéréotypées que l’on entend au sein des collectivités, à l’école, chez la nounou et qui sont très souvent dites, la plupart du temps, sans aucune once de jugements ou de négativité. En revanche, comme le conseille Aurélia Blanc, en tant que parent, on peut tout à fait échanger de façon pédagogique avec le personnel qui encadre nos enfants pour faire évoluer les discours. Ou même s’imposer avec diplomatie quand on constate que la maîtresse émet un jugement sur le choix des vêtements ou la longueur des cheveux d’un petit garçon. Dans son livre, Aurélia Blanc partage les conseils de Violaine Dutrop-Voutsinos, fondatrice de l’institut EgaliGone : « Il faut se saisir de toutes les opportunités pour aborder les choses de façon ouverte, sans être dans l’injonction. » Quand la nounou propose d’acheter des petites voitures, on peut en profiter pour dire : “C’est formidable, comme ça les enfants auront plus de jeux ! D’ailleurs, n’hésitez pas à proposer à mon fils les jeux auxquels jouent les filles. Comme ça, tout le monde peut jouer à tout.” 

 

« La question de l’intimité, de son sexe qui n’appartient qu’à soi est aussi une approche de la question du consentement. Je parle du consentement sexuel, du respect de l’autre dans son intimité mais aussi plus globalement du consentement au quotidien : avec qui j’ai envie de jouer ou pas, qui peut me dire ce que je dois porter, ce que je dois faire, comment me comporter… »

 

Dialoguer avec ses enfants
Naturellement, les petits garçons se posent des questions sur ce qu’ils peuvent porter ou non : « Pourquoi je ne peux pas porter de robe ? Pourquoi les copains se moquent de mes chaussures roses ? Pourquoi la maîtresse dit qu’il faut que je coupe mes cheveux ? … » Et souvent, on reste assez perplexe : Bah oui pourquoi ? Ces questionnements légitimes sont l’occasion d’ouvrir le dialogue avec son enfant et de lui partager aussi nos interrogations sur la question. Le plus important étant de l’aider à faire ses choix et à ne pas en souffrir. À la question : « Pourquoi il n’y aurait que les filles qui  portent des barrettes ? », j’aime particulièrement la réponse d’Aurélia : « On porte des barrettes quand on a des cheveux. » Simple, efficace et vrai. L’enfance est aussi l’occasion de parler de l’histoire des femmes et des hommes, des luttes féminines, de la situation actuelle et de tout ce que l’on peut faire pour rendre le monde plus égalitaire et donc plus heureux pour tout le monde. « La question de l’intimité, de son sexe qui n’appartient qu’à soi est aussi une approche de la question du consentement. Je parle du consentement sexuel, du respect de l’autre dans son intimité mais aussi plus globalement du consentement au quotidien : avec qui j’ai envie de jouer ou pas, qui peut me dire ce que je dois porter, ce que je dois faire, comment me comporter… » ajoute Aurélia Blanc.

 

« À défaut d’avoir une organisation parfaitement égalitaire dans son foyer (franchement, qui peut se targuer d’y parvenir ?), nous pouvons par exemple nous donner pour mission d’accomplir certaines tâches en couple, voire en famille. « 

 

Des modèles rares
Alors que des figures féminines tracent depuis des décennies et s’invitent avec joie dans l’environnement de nos enfants et nos ados,  « on manque d’exemples masculins positifs. » selon Aurélia.  » Il  y a des hommes qui ont tenté de résister en proposant une vision anti-sexiste mais ils sont trop peu nombreux. » En effet, un modèle du même sexe fera plus sens aux yeux d’un garçon qu’une figure féminine. Un rôle qui peut d’ores-et-déjà être endossé par les figures masculines de la famille, à commencer par le père, s’il y a un père. « Il faut se rendre à l’évidence : les clichés, ça commence chez nous ! Nous aussi avons été façonnés par ces représentations. Nous aussi avons reproduit des clichés. » En prendre conscience, c’est avancer dans le bon sens. Et le message passera par les actions du quotidien : « Revoyons au besoin notre organisation familiale. Il ne s’agit pas de tout révolutionner de fond en comble du jour au lendemain, mais plutôt de bousculer nos habitudes, ponctuellement et progressivement, pour nous éloigner de ces schémas genrés. À défaut d’avoir une organisation parfaitement égalitaire (franchement, qui peut se targuer d’y parvenir ?), nous pouvons par exemple nous donner pour mission d’accomplir certaines tâches en couple, voire en famille. « Ne pas véhiculer de stéréotypes de genre au quotidien, cela remet par ailleurs en question les convictions et les manières de penser de nos propres parents. » précise Aurélia. On comprend alors que l’égalité des sexes et la fin des stéréotypes de genre passeront par les mots, les actions, l’éducation de tous.tes.

Merci à Aurélia Blanc. Les clés partagées dans son livre ouvrent des portes vers un présent et un futur encore plus cool, ensemble. 

 

Chez émoi émoi on n’a pas de rubrique « vêtements filles » et « vêtements garçons ». On aime l’idée d’ouvrir les cases. Celle de pouvoir porter du rose, des barrettes, des fleurs, du bleu marine, des costumes de super-héros quel que soit son sexe. Et on adore, en plus, l’idée de transmettre les vêtements d’un enfant à l’autre (coucou #mothernature).

 

 

 

Publié le Ecrit par Amandine