Mon bébé est né prématurément, en plein Covid.

Notre bébé était attendu pour fin juillet, avec le printemps nous nous prenions à rêver de cet été post-confinement, à l’ombre des arbres, tous les 5. Notre bébé allait bien, la grossesse se passait bien, même très bien après la frayeur d’un micro-décollement placentaire dans les premiers mois. Ciel bleu, ventre rond, attente heureuse. La prématurité, cela existait mais c’était pour les autres.

 

Et il y a ce vendredi matin.

Je me lève gênée par une sensation que je connais : je perds les eaux. Je réveille mon époux, il faut appeler le Samu et préparer un sac pour partir. Tout s’enchaîne très vite: les pompiers arrivent, quelques questions, premiers examens. Contexte covid oblige, je pars seule. Nous étions confinés à la campagne, je ne connais pas l’hôpital où nous arrivons. Autres examens, prise de sang, perfusion, injections. La sage-femme est rapide, concentrée, j’entends le mot « transfert » et je supplie d’être envoyée à la maternité près de chez nous. Échographie: bébé est là, son cœur bat bien. Je demande son sexe alors que nous gardions la surprise, d’un seul coup je dois savoir. Un petit garçon, un troisième mousquetaire à notre tribu !

Les ambulanciers arrivent: des capteurs pour suivre mes constantes, brancard, départ. Toujours seule. La route jusqu’à l’hôpital, la sensation angoissante de perdre et perdre du liquide amniotique. Je respire, je me concentre sur notre bébé, je veux garder mon cœur calme pour lui.

Arrivée à la maternité de Louis Mourier, c’est un niveau III, je nous sais entre de bonnes mains. Nouvelle sage-femme, nouveaux examens et prises de sang. Montée en chambre, je suis allitée, monitoring, prise de température et tension toutes les 4h. Des amies me déposent à l’accueil des affaires (puisque je suis partie sans rien !), heureusement nous sommes entourés. Je lis, j’appelle, j’attends dans ma chambre.

Nous sommes vendredi, lundi c’est le déconfinement. Ainsi se passent les journées jusqu’à dimanche soir: les monitoring sont parfaits, pas de signes d’infection, l’hospitalisation à domicile est prévue pour jeudi avec l’objectif de tenir jusqu’à 37 SA (soit 1 mois avant le terme, le bébé n’est alors plus prématuré).

Ce n’est pas le moment, ce n’est pas le temps, il est trop petit, trop fragile.

Le dimanche soir, toujours seule, je ne peux que me fier à mon intuition: il y a quelque chose qui cloche. Mon bébé bouge moins, ça tire un peu dans les reins. La sage-femme n’est pas inquiète, elle lance un monitoring et je la vois devenir perplexe. Elle appelle le médecin, on descend en pré-travail. Je la vois penser sous mes yeux, elle me prépare en me disant que l’accouchement sera peut-être ce soir. Très vite, cela devient une certitude, je dois respirer fort sur chaque contraction pour l’accompagner. Mon époux est en route pour me rejoindre, nos grands sont avec mes parents, je n’ai pas de réseau et tente tant bien que mal d’écrire aux uns et aux autres.

Est-ce que mon cœur est angoissé ? À la fois, non car je m’étais dit que cela pouvait arriver à tout moment et que rationnellement je me sais dans un excellent hôpital. En même temps, oui, pour un accouchement prématuré, le corps, le cœur et l’intelligence ne sont pas prêts à accueillir ce bébé, ce n’est pas le moment, ce n’est pas le temps, il est trop petit, trop fragile. « Reste encore avec moi, mon tout-petit » est le cri qui résonne très fort dans mon cœur. Est prématuré le bébé qui naît avant 8 mois. Dans la prématurité même, il y a des stades: l’extrême prématurité (de 24 SA à 29 SA), la grande prématurité (de 30 SA à 32 SA), la moyenne prématurité (de 33 SA à 34 SA) et la prématurité (de 35 SA à 37 SA). Chaque histoire est unique, chaque parent vit avec son enfant cette naissance en avance d’une manière singulière. Retard de croissance, rupture des eaux, éclampsie, travail spontané, les raisons sont nombreuses, parfois inexpliquées.

De cette naissance pas comme les autres va suivre un parcours pas comme les autres: service de réanimation pour les plus fragiles, service de soins intensifs où l’hospitalisation peut être très longue, service de néonatalogie avant de pouvoir imaginer la sortie si attendue pour revenir à la maison.

Notre petit garçon est à 6 mois et demi de grossesse, 30 SA et 2 jours.
En salle de travail, la sage-femme très attentive et douce m’installe: monitoring pour le cœur de bébé, monitoring pour les contractions, brassard de tension qui se gonfle toutes les les 5 minutes, oxygène surveillé au bout du doigt, perfusion avec des médicaments pour aider bébé et aider les contractions. Je ne peux pas bouger, moi qui ai accouché deux fois collée à mon époux et enchaînant les postures pour accompagner bébé.

Cet accouchement m’indique que je dois lâcher mes idées, mes désirs, il faut sauver ce bébé et pour cela je dois faire confiance, même si je suis seule et que l’appui de mon époux est cruellement désiré. Pose de la péridurale: tailleur et dos en chat. Première dose, je ne sens plus les contractions mais je veux les sentir parce qu’alors je sais que le travail avancera et nous éloignera de la césarienne. Je ne toucherai plus à la télécommande de la péridurale. Mon époux est là de l’autre côté de la cloison, j’aimerais qu’il soit là près de nous. Fichu réseau qui m’empêche de lui parler, de lui écrire. J’ai besoin de lui, faites-le entrer. Il faut patienter encore. Fichu covid qui complique ce qui est déjà compliqué !

Je demande à la sage-femme de changer de position pour aider bébé à appuyer sur le col, le travail avance, doucement mais il avance. Enfin, vers 1h45, mon époux me rejoint et là les contractions s’emballent: je passe de 4cm à 10 cm en 30 minutes environ, Madame il faut pousser, votre bébé arrive! Je pousse, je le sens, il est là quelques secondes sur mon ventre, mon époux le baptise dans le très court laps de temps où il est emmené aux pédiatres. Il n’a pas pleuré, il est tout petit et maintenant il est loin de nous. Vient la délivrance du placenta, la surveillance et je remonte dans ma chambre sans l’avoir revu. Mon époux a été avec notre tout-petit une vingtaine de minutes à peine, il l’a vu respirer après bien des efforts et des médicaments, il a été intubé et est ventilé. Il a pris des photos que je regarde encore et encore: mon tout-petit dont je suis séparée et que je dois attendre de pouvoir aller voir en réanimation.

 

 

Dans l’expérience de la prématurité, il y a ce basculement vertigineux où un monde totalement inconnu devient votre nouvel univers.

Nous apprendrons, plus tard seulement, que les heures suivant sa naissance ont été des heures de combat: l’infection pulmonaire l’avait énormément affaibli et les 72 premières heures ont été extrêmement angoissantes. Habituellement, Papa et Maman peuvent venir tous les jours, dormir même près de leur bébé, au bout de 7 jours on peut envisager de présenter bébé dans sa couveuse à la fratrie. Là, Papa n’a pas le droit de venir car un seul parent y est autorisé et étant hospitalisée c’est moi qui peut aller le voir. Nous ne pouvons pas dormir près de lui et le laisser dans sa couveuse est très cruel. Alors, nous apprenons vite à créer un rituel pour se dire au revoir et surtout à très vite.

Dans l’expérience de la prématurité, il y a ce basculement vertigineux où un monde totalement inconnu devient votre nouvel univers, où votre bébé si petit est dans une couveuse et où tous vos repères de maternité sont bousculés. Masque, blouse, lavage de mains méticuleux… ce n’est pas l’expérience spontanée et facile de l’accueil de son bébé ! Les cœurs sont partagés: entre son bébé à l’hôpital, les « grands » qui sont loin, l’époux qui ne peut pas venir.

Les infirmières de réanimation ont été extraordinaires: infiniment tendres et incroyablement expertes dans leurs soins, elles ont permis que ces jours difficiles et sans Papa puissent se vivre au mieux avec les machines, les alarmes, le passage des pédiatres, les échographies, les prises de sang, les poses de cathéter etc. Ces infirmières sont devenues nos héroïnes, nos rocs dans la tempête.

« Tout ce qui pour une naissance « normale » ne pose pas question est pour une naissance prématurée un cadeau… »

>L’infirmière qui s’est occupée de lui les premiers jours s’est battue pour que mon époux puisse venir en réanimation voir son bébé: pour 2h, nous avons vécu ce moment extraordinaire d’être ensemble avec notre bébé. Il est en couveuse, nous ne pouvons ni le porter ni l’embrasser, je ne peux pas l’allaiter (mais je peux tirer mon lait, encore une autre histoire mais par amour, on déplace des montagnes !), nous devons le quitter, laisser d’autres mains que les nôtres le soigner et l’aider à grandir… mais à ce moment-là nous sommes avec lui et nous sommes auprès de lui son Papa et sa Maman.

Ce qui me semble peut-être le plus symbolique dans ces journées où le contexte covid était au plus fort, c’est l’émotion qui m’a submergée quand j’ai pu l’embrasser pour la première fois. Un baiser masqué ! Son infirmière l’a pesé hors de la couveuse, son petit visage était sans ventilation, j’étais tout près de lui… Un premier baiser pour mes autres enfants, c’était si naturel et facile, juste après la naissance contre mon cœur mais voilà que pour notre tout-petit, l’ordre naturel est tout inversé: rien n’est acquis et tout est donné ! Tout ce qui pour une naissance « normale » ne pose pas question est pour une naissance prématurée un cadeau…

Alors oui, c’est une aventure que nous n’attendions pas, dont nous nous serions bien passés mais mon cœur de Maman ne sera plus jamais le même: élargi par l’épreuve, approfondi par les heures de veille par sa couveuse, adouci par toutes ces premières fois extraordinaires qui viennent jalonner les semaines et les mois d’hospitalisation de son enfant. Le courage de son tout petit bébé subissant plus d’examens et d’actes médicaux que nous n’en avons jamais connu, le soutien d’amies ayant vécu la prématurité avec leurs bébés, le soutien inconditionnel de l’association SOS Prema par l’intermédiaire d’une amie qui y travaille, la présence si bienveillante des infirmières et les encouragements des pédiatres, l’amitié qui se développe avec les autres mamans, tout cela accompagne cette expérience si difficilement communicable par la diversité de ce qu’elle comprend… et donne courage pour la vivre, jour après jour…

Merci à Clémence pour ses mots, son partage. Et cette déclaration. 

Photo : Lucile Désir / association les Colombines

Publié le Ecrit par Amandine