Anna Roy, sage-meuf : « Le post-partum dure 3 ans. »

 


Photo : @marsbudge

Chez émoi émoi, on aime aborder tous les sujets. Parce qu’ils font la complexité et la beauté de la maternité. Alors, que se passe-t-il dans le corps, la tête et le cœur après l’accouchement. Et les mois qui suivront ? Dans La vie rêvée du post-partum*, la sage-femme Anna Roy, à l’initiative du podcast Sage-Meuf, libérait déjà la parole sur une période encore tabou. Dans son nouvel ouvrage Le post-partum dure 3 ans, elle approfondit un sujet primordial. 

C’est quoi un post-partum ?

Médicalement, on entend que c’est la période qui s’inscrit entre la sortie du placenta et le 1er jour du retour des règles. Et puis il y a la définition que l’on vit, celle que je vois, celle qui colle à la réalité, à savoir le chamboulement qui veut dire : Je deviens parent. Tous les plans de votre vie sont à réinventer : votre corps, votre quotidien, votre couple, votre travail, votre famille. En réalité, il y a autant de post-partum que de femmes.

 

« En France, le hashtag #MonPostPartum a vu le jour. Il dénonce le manque d’informations autour d’un sujet largement invisibilisé. Mais aussi les tabous qui l’entourent. »

 

Combien de temps dure un post-partum ?

Là est la question piège ou plutôt la question qui ne tend pas à avoir de réponse. Ce qui est certain c’est que le post-partum ne dure pas 45 jours comme il est médicalement admis. Cette histoire de timing est bonne pour les professionnels de santé mais pas forcément pour vous. En réalité, ce que je vois depuis 10 ans aux côtés des jeunes mamans, c’est que le post-partum dure une bonne année…Voir 3 ans.

 

Pourquoi parle-t-on si peu ou si mal de cette période ?

Parce que le post-partum est soumis à son lot d’injonctions. Le résultat est que beaucoup de femmes complexent quand cette période post-accouchement n’a rien d’une vie rêvée. Elles n’osent pas toujours questionner les professionnels de santé ou leurs proches, de peur de paraître à côté de la plaque, pas assez fortes, pas assez femmes, pas assez mères. La société n’est par ailleurs pas disposée à en parler. À commencer par les médias. En février 2020, une publicité pour serviettes hygiéniques spécial post-partum aurait dû être diffusée sur la chaîne ABC durant la soirée des Oscars. Problème : la chaîne a rejeté le spot, estimant ce dernier trop cru. Pourquoi ? Parce qu’on y voit la réalité : une femme qui vient de mettre au monde un enfant et dont on comprend que les jours qui suivent l’accouchement ne ressemblent pas à une croisière sur la Méditerranée. À partir de là, plusieurs personnalités se sont révoltées. En France, le hashtag #MonPostPartum a vu le jour. Co-lancé par la sociologue française Illana Weizman et ses amies Ayla Saura, Morgane Koresh et Masha Sexplique, il dénonce le manque d’informations autour d’un sujet largement invisibilisé. Mais aussi les tabous qui l’entourent.

On ne prévient pas assez les femmes de ce qui peut arriver ?

C’est vrai que les mères elles-mêmes n’en parlent pas toujours, mais attention je ne suis pas en train de dire que le post-partum est un enfer et d’ailleurs je pense qu’il faut aussi faire attention à l’anticipation négative du post-partum qui peut être mise en avant sur les réseaux sociaux, comme à l’inverse l’idéalisation de cette période. Ce qu’il faut surtout dire aux femmes c’est que les suites d’un accouchement mettent le coeur, le mental et le corps à l’épreuve, que ce bouleversement est normal, que la fatigue et les hormones agissent fortement. Il faut garder en tête que la maternité n’est pas instinctive, qu’elle s’apprend et que cela prend du temps. 

 

Pour quelles raisons un post-partum peut-il être mal vécu ?

Chacune a ses raisons. Pour certaines femmes, il faut faire le deuil de la grossesse, l’accouchement peut aussi être traumatique, la césarienne a pu être difficile à accepter et à vivre (à noter que la césarienne est la seule opération chirurgicale sans période dédiée à la convalescence !), l’allaitement peut-être long à se mettre en place, le corps saigne, il est éprouvé, doit cicatriser, la fatigue peut être compliquée à gérer, la rencontre avec son bébé peut demander du temps…C’est une perpétuelle adaptation que de devenir maman. Et notre congé maternité particulièrement court et inadapté, n’aide pas. 

 

« Deux heures après la naissance, c’est là que tout commence pour la maman et c’est aussi là que l’accompagnement si présent durant la grossesse, s’éclipse. »

 

Que faire si le mal-être s’installe ?

On peut parler de dépression post-partum (à ne pas confondre avec le terme baby blues qui s’inscrit juste après l’accouchement et ne dure que quelques jours.). Elle touche entre 10% et 30% des accouchés selon les études. Peu prise en compte, elle est d’ailleurs largement sous-diagnostiquée. La période traumatisante du Covid a été aussi éprouvante. On sait que 42% des 2700 mères interrogées et ayant accouché durant le premier confinement on dû porter un masque durant l’accouchement. On a donc noté une hausse des signes de dépression et de stress chez ces femmes. Evidemment.

 

Les femmes sont-elles assez accompagnées ?

Non, pas vraiment. Je suis sage-femme et je le vois bien. Deux heures après la naissance, c’est là que tout commence pour la maman et c’est aussi là que l’accompagnement si présent durant la grossesse, s’éclipse. Quand on dit au revoir à la maman, c’est l’heure zéro de sa maternité. On s’occupe beaucoup du bien-être des bébés mais on a pris le problème à l’envers : un bébé va bien quand une mère va bien. Un post-partum, peut mal débuter si les mots des professionnels sont malvenus, déroutants, culpabilisants. C’est à nous, soignant, d’être à l’écoute des jeunes mamans. Malheureusement, ce n’est pas toujours possible d’être serein, présent, à la bonne place tout le temps. Et c’est aussi pour préserver cette présence de qualité avec la maman que l’on se bat pour avoir 1 sage-femme par femme. (Anna a eu l’excellente idée de lancer cette pétition en novembre dernier.)

 

Le post-partum c’est aussi une histoire de couple ?

Oui ! Sauf que rien n’est fait pour les couples. Or, il faut les aider. Aujourd’hui, c’est encore difficile de dire que dans son foyer, rien ne se passe comme sur un feed Instagram. C’est compliqué parce qu’en cette période si idéalisée, on ne se sent pas le droit de dire que ça ne va pas, qu’on est très fatigués, qu’on est énervés, dépassés,  qu’on ne se comprend plus…Or, c’est à ce moment qu’il faut trouver une écoute, du temps pour soi, un dialogue…

« La venue d’un enfant ajoute 261 minutes de travail supplémentaire à un couple, soit entre 4 et 5 heures par jour (dont 3 heures…pour les femmes). »

 

Et la charge mentale débute aussi dès cette période ?

Oui parce que le temps parental s’ajoute au temps domestique. Il y a une explosion des choses à faire et une explosion des choses à penser ! Les choses à faire : donner un bain, changer une couche, acheter des nouveaux vêtements, accompagner mon enfant chez le pédiatre…Et concernant ces choses à faire, trois chercheuses se sont penchées sérieusement sur la question en 2015 dans une revue de l’INSEE. Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz ont fourni un travail considérable et surtout passionnant sur le temps domestique et parental des hommes et des femmes. Et voilà ce qui en ressort : la venue d’un enfant ajoute 261 minutes de travail supplémentaire à un couple, soit entre 4 et 5 heures par jour (dont 3 heures…pour les femmes). Or, les journées ne s’allongent pas et notre charge de travail n’est pas réduite pour autant. Je ne dis pas que c’est désagréable. Je dis juste ce que temps-là incompressible, existe. Et qu’il faut absolument discuter du « comment » et du « qui va absorber ce surplus ». 

 

 

 *Ed.Larousse

 

 

 

Publié le Ecrit par Amandine