Brune Bottero écrit et présente des podcasts qui nous parlent. Cette rencontre, c'est le récit d'une femme devenue belle-mère avant d'être mère, dans une famille endeuillée. C’est l’expérience et le regard de Brune sur la belle-parentalité qui attend qu’on la traite (enfin) autrement.
“Quand tu es belle-mère, tu donnes autant qu'une mère, sauf que tu as besoin du double en retour.”
“Quand j'ai rencontré Thibault il y a un peu moins de 10 ans, la maman de ses enfants était décédée. A 26 ans, j'ai d'abord été la petite amie de leur papa puis leur belle-mère. Je demande à Brune si pour endosser le rôle de belle-mère, il faut d'abord le déconstruire, et composer ensuite sa propre partition ? “Oui ! Il faut complètement déconstruire l'image de la belle-mère véhiculée par le société, et pas uniquement dans les contes. Pour ma part, je n'étais étrangement pas imprégnée par cela, je vivais un peu chez les bisounours. C'est en tenant ce rôle de belle-mère sur la longueur que j'ai compris à quel point la société portait un œil très critique sur les belles-mères. Pourtant, investir ce rôle a été la chose la plus complexe que j'ai eu à faire dans ma vie, mais aussi une des plus belles et enrichissantes.” Ce rôle, cette place, ne se fait-elle pas à deux, avec le parent biologique ? “C'est une évidence. Dès le début, Thibault m'a laissée prendre la place que je souhaitais prendre. Il m'a même invitée à prendre une place que je n'osais pas prendre. Mais, ce manque de reconnaissance est un sentiment commun et flagrant chez toutes les femmes que j'ai rencontrées. Toutes ont l'impression d'être des chieuses illégitimes. Or, de ce que j'observe, quand tu es belle-mère, tu donnes autant de temps, d'amour, d'énergie et de charge mentale que quand tu es mère. La différence, c'est que tu as besoin du double en retour. Pour ma part, même si mon mari me dit : “C'est fou comme ils t'aiment”, même si je les ai adoptés, j'ai toujours à l'esprit l'idée imprégnée que je dois faire deux fois plus pour qu'ils m'aiment pareil. On dit beaucoup que les enfants et les beaux-enfants, c'est la même chose. Or non, ce n'est pas pareil et ce n'est pas grave. Je ne me questionne jamais sur l'amour de ma fille biologique envers moi. Chez les deux grands, j'ai beau me raisonner, me dire qu'ils m'aiment, j'ai toujours besoin d'avoir des preuves et d'être réconfortée à ce sujet.
“L'adoption, ça ne change pas la vie, ça change la mort.”
"Quand je suis tombée enceinte de notre premier enfant “biologique”, on s'est posé la question de rendre le lien avec mes beaux-enfants juridiquement plus clair. Ça me tenait à cœur que nos trois enfants (à l'époque - aujourd'hui j'en ai quatre) soient sur le même pied d'égalité. Je demande à Brune ce que l'adoption a suscité comme sentiment chez les enfants. “La plus petite avait 4 ans et le grand avait 7 ans quand je les ai rencontrés. On a lancé la procédure d'adoption quand ils avaient 6 et 9 ans. Deux ans plus tard, c’était officiel. C'est moins le moment officiel de l'adoption qui a été marquant que lorsqu'on leur a dit qu'on aimerait lancer la procédure. J'avais prévu de leur faire une demande, d'avoir leur accord. J'en avais parlé à ma psy qui me suivait durant ma grossesse. Elle m'a dit “Attention, c'est leur mettre beaucoup de choses sur les épaules. Ils vont sentir que c'est eux qui doivent prendre la décision. Ils sont petits, ils ont perdu leur maman, il ont besoin que l'on prenne des décisions pour eux." Ça m'a semblé évident. Je me souviens que la plus jeune était un peu inquiète. Elle avait peur que je prenne la place de sa mère. Le plus grand s'y attendait davantage. Ils avaient besoin de réponses concrètes donc on a répondu à tout. Et pour dire les choses très clairement, l'adoption ne change pas la vie, ça change la mort. S'ils se passent des choses graves, ils ne seront pas lésés par rapport à leurs sœurs.”
Je comprends que devenir belle-mère, c'est s'adapter sans s'oublier. Et les enfants ? Est-ce qu'au même titre qu'on apprend à être belle-mère, on apprend à être bel-enfant ? “Oui, les enfants apprennent à cohabiter avec les gens qui les entourent. Les schémas parentaux se modifient et de ce fait, les règles de vie aussi. Le beau-parent arrive avec son bagage, ses principes et ses valeurs qui ne sont pas toujours identiques au parent qui n'est pas là ou au parent restant. L'enfant apprend mais j'apporte une nuance : Il apprend parce qu'il n'a pas le choix. En revanche, il n’a pas de devoir.” Je partage avec Brune la sensation que la beau-parentalité questionne le lien au sens large. Maman de deux enfants biologiques, j'ai le sentiment qu'il n'y a jamais rien d'acquis pour autant. Il y a une construction du lien auquel ont doit rester toujours vigilant que l'on soit parent ou beau-parent. Je demande à Brune si le fait d'avoir été belle-maman avant de tomber enceinte a changé, selon elle, quelque chose dans son accès à la maternité ? “Oui, je n'aurais pas été la même mère sans ça. Je ne sais pas non plus ce que c'est que d'avoir une grossesse sans autre enfant autour. J'étais novice en bébé mais j'avais déjà accumulé pas mal de connaissances en éducation de plus grands. La belle-maternité m'a fait toucher du doigt ce qui est désormais mon mantra en parentalité : Pour que ça se passe bien, il faut aller bien. Au début de ma belle-parentalité, je me suis brûlée les ailes à vouloir tout donner et tout faire. Ça fonctionne un temps et après on s'oublie trop et ça devient difficile. Ca marche pour la belle-parentalité comme pour la parentalité.”
“L'arrivée de notre bébé, c'était la première énorme joie que l'on partageait ensemble."
A l'arrivée de sa fille, premier enfant “biologique” de Brune et de Thibault, quels mouvements se jouent au sein de la famille recomposée ? Est-ce que l'équilibre doit se réinventer, est-ce que les liens se détachent puis se consolident ? “Pour ma part c'est clairement ce qui a consolidé la famille. Mais cela n'a pas été facile pour tout le monde. Pour notre grand garçon, ce fut un chamboulement émotionnel. Il s'est questionné sur sa place dans la famille. Mais c'était du bon bouleversement, on sentait qu'on définissait quelque chose tous ensemble. Moi, ça m'a permis de me sentir plus légitime. Mais je pense que j'avais très envie d'avoir un bébé et d'être enceinte. C'était aussi une manière d'enlever un petit peu de poids sur les épaules des deux autres. J'allais les laisser tranquille ! Et puis je suis arrivée dans une famille qui était brisée par le deuil. C'était la première énorme joie que l'on partageait ensemble. Cette enfant est tellement aimée ! Elle est choyée comme une première mais aussi comme une troisième. Elle a reçu tellement d'amour et tellement d'applaudissements pour chaque chose qu'elle faisait bébé…Je l'observe avec notre nouveau bébé qui a quelques mois, et qui vit la même chose. C'est un amour décuplé." Pour les filles qu’elle a portées, arriver dans une famille recomposée, c'est aussi s'approprier une histoire en marche, non ? “On est une famille où on parle beaucoup, on a jamais cessé de parler de la maman des grands, par exemple. Ça a toujours été important qu'elle puisse exister. Il y a des photos, son nom est prononcé, les grands peuvent nous poser à tout moment des questions sur elle. C'est donc naturellement que Thelma a très vite su qui elle était, tout comme, elle sait très bien qu'elle était mon premier bébé." Les plus grands ont dû aussi tisser cette nouvelle toile familiale avec leurs sœurs, j'imagine ? “Quand j'étais enceinte de ma première fille, les grands disaient beaucoup : “Elle sera notre demi-sœur”. Dès son premier jour de vie, ils ont naturellement dit “soeur”. Très vite, ils ont ajouté :C'est quand même dommage qu’elle ne puisse pas rencontrer notre maman. Evidemment, puisque nous sommes une grande famille…