Chez émoi émoi, on aime rencontrer celles et ceux qui nous donnent envie de nous aimer, encore plus fort. Il y a 5 ans, Lili-Barbery Coulon a écrit un ouvrage devenu livre de chevet pour beaucoup de femmes. Dans La Réconciliation : de la haine du corps à l’amour de soi *, l’ex-journaliste beauté pour M le Magazine du Monde y parle des étapes qui l’ont amenée à reconsidérer totalement ses relations avec son corps. Et son environnement. Aujourd’hui, elle revient sur ce déclic et nous raconte le chemin sur lequel elle avance toujours.
*ed. Marabout
Comment s’est amorcée la réconciliation avec votre corps ?
Cette prise de conscience s’est produite à la rencontre de plusieurs facteurs. La mise en ligne d’un post intitulé : Comment je me suis disputée avec mon corps, publié sur mon blog en 2016 a ouvert une conversation unique avec ma communauté. A l’époque, je ressentais le besoin de raconter pourquoi je ne m’entendais pas avec mon corps. J’ai reçu une centaine de messages en retour. Majoritairement des femmes qui se reconnaissaient dans mon constat, mais aussi des hommes. Cette conversation m’a donné envie de prolonger l’échange, avec l’idée qu’il n’y a pas de solution mais une prise de conscience. Ce désamour pour son corps concerne une grande majorité de femmes. En 2019, j’ai donc écrit un livre qui n’est pas une méthode mais qui aide, je l’espère, à se mettre en chemin.
Est-ce que le désamour de nos corps n’est pas conditionné dès l’enfance ?
Ce que j’observe c’est qu’il est très difficile de satisfaire des injonctions contradictoires en permanence. On va voir une femme très mince faire la publicité d’un esquimau très sucré : il faut être mince et en même temps être une fille cool qui mange une glace sur la plage. On accorde beaucoup d’importance à la beauté du corps selon des critères qui changent sans cesse, mince mais pas trop fine, musclée mais pas à outrance, des formes généreuses sans être artificielles. On souffrira d’injonctions quelles que soient les options que l’on aura choisies. En vérité, les corps inclusifs ne sont pas représentés. Et ce n’est pas qu’une question de poids, c’est un malaise qui s’est construit de génération en génération. La haine du corps est très partagée et elle existe aussi chez les hommes dès qu’ils commencent à avoir du ventre : ils alimentent une mécanique d’autoflagellation sensée être drôle qui participe au fond à de la dévalorisation.
Le corps ne fait pas l’objet de l’émerveillement qu’il mériterait ?
Si on arrivait à cultiver le même émerveillement pour un poisson exotique que pour nos corps, ce serait génial. Il faudrait que l’on s’intéresse davantage à notre anatomie, aux mécanismes incroyables du corps pour mieux le comprendre et le percevoir. Nous vivons dans une toxicité énorme et pourtant le corps résiste, il est capable de faire des traversées miraculeuses. Tout cela nous montre à quel point le corps a une intelligence propre. On valorise l’intelligence cérébrale mais nous ne sommes pas attentifs à l’intelligence du corps. Notre vision est tronquée par notre manque d’émerveillement.
Racontez-nous les étapes clés de votre réconciliation
J’ai traversé un épisode dépressif. Parmi les rencontres décisives, il y a eu le chef Olivier Roellinger (chef triplement étoilé, fondateur des Epices Roellinger et des Maisons de Bricourt). Dans sa jeunesse, Il a subi une tentative d’homicide qui l’a enfermé à l’hôpital pendant des mois. De cette épreuve, il a puisé une force incroyable. Parallèlement à cette rencontre, deux de mes amies ont eu un cancer. Les voir prendre soin d’elles m’a obligé à cesser de me plaindre. Il fallait que j’essaie autre chose. Je ne savais plus distinguer la faim de la satiété, je ne me rendais pas compte lorsque j’avais mal au dos ou au ventre. Je ne faisais pas les liens. Un jour, on se sent tellement déconnecté qu’on est obligé d’essayer de nouvelles choses: on n’ a plus le choix.
Vous avez exploré plusieurs dimensions pour trouver ce qui vous convenait…
Pour mettre mon corps en mouvement, j’ai cherché un sport qui me plaise vraiment. Je me suis mise à la danse et puis parallèlement j’ai essayé le yoga sans trop y croire. Résultat, j’ai carrément plongé dedans ! J’ai découvert que l’activité physique n’était pas un moyen de perdre du poids mais un catalyseur de joie et de mieux-être. Après des années de restrictions alimentaires suivies de grands lâchages caloriques, j’ai remis de la conscience dans mon alimentation. Pour la première fois je m’interrogeais : De quoi ai-je besoin ? Et ai-je encore faim ? Prendre soin de moi a totalement changé mon état d’esprit. J’ai grandi avec l’idée que développer son intelligence était central, mais on n’a pas particulièrement insisté sur le soin du corps. L’art de la table a aussi constitué un outil important dans la pleine conscience que j’ai amorcée. Ce n’est pas futile de prendre le temps, quand cela est possible, de préparer son assiette, de marier les couleurs, de choisir les couverts…Cela permet de ritualiser les moments à table. La beauté n’est pas un snobisme. Et nul besoin de dépenser beaucoup pour que ce soit beau ! Et puis, ça donne envie d’honorer le travail des agriculteurs qui se sont donnés du mal pour faire pousser les légumes qui entrent dans nos cuisines. On devient conscient de toute la chaîne du vivant et on développe ainsi de la gratitude.
La pleine conscience de son corps et la manière dont on le traite ont-ils eu des effets “ricochets” ?
Bien sûr. Si on arrive à dire non à des choses pour faire du bien à son corps, on en vient à pouvoir le dire dans la vie de manière générale. Cela renforce l’idée de consentement et de refus. On se sent plus à l’aise pour exprimer ce qui nous convient, professionnellement comme dans la sphère intime. Et puis, on développe une conscience de notre impact sur le collectif et l’environnement.
Comment se reconnecter au corps ?
Déjà en le mettant en mouvement: la marche, la danse, le vélo, le yoga ou autre sport… Et puis utiliser l’auto massage, un bain très frais dans la mer, une respiration supplémentaire avant de manger, une méditation toute simple avant de s’endormir, etc. Il n’y a pas de ligne d’arrivée, c’est l’inverse d’une performance. Seul le chemin compte. Je ne suis arrivée nulle part, je continue à cheminer. Parfois, je me déconnecte encore de mon corps, cela fait partie de ma trajectoire. Et puis, la réconciliation revient. Si je me tiens à l’écoute, elle revient toujours.