Que se passe-t-il dans une classe Montessori ? Quelles sont les différences avec une école classique ? Est-ce un choix qui correspond à votre famille ? Chez émoi émoi, on s'intéresse beaucoup à l'éducation dans sa globalité. On a profité de l'expérience concrète de Nathalie (co-fondatrice d'émoi émoi) pour lui poser toutes nos questions sur cette alternative pédagogique.
Si son expérience est singulière et ne reflète pas toutes les structures Montessori, elle offre un témoignage du quotidien de son enfant et des pistes de réflexion pour savoir si ce projet éducatif serait adapté à votre famille.
Crédit de toutes les photos : Photographe Thomas Pringault, école Montessori les Mimosas de Larmor-Baden
Ton fils a suivi une scolarité dans une école maternelle "classique" avant d'intégrer une école Montessori. Qu'est-ce qui t'a fait changer de modèle ?Joseph a été à l'école publique en maternelle à Paris puis à Vannes en Bretagne, et il a intégré son école Montessori à partir du CP. C'est assez atypique, car en général, il faut avoir suivi toute sa scolarité en Montessori. Je connaissais déjà la pédagogie, ayant eu la chance de moi-même fréquenter une école Montessori pendant toute ma scolarité, de 3 à 11 ans, j'en garde un très bon souvenir, j'adorais l'école. Pour la maternelle de notre fils aîné, on ne s'était pas trop posé de questions, on est allés à l'école de quartier la plus proche de chez nous. L'école maternelle est assez bienveillante et épanouissante : il y a encore beaucoup de place au jeu, à la créativité. Et aussi parce qu'à Paris, les écoles Montessori sont pour la plupart très chères, donc j'avais regardé rapidement mais sans m'arrêter sur un choix. Quand il a terminé sa grande section, on a visité l'école primaire de quartier et ça nous a déprimés tous les trois (Joseph, son papa et moi) : les petites tables toutes alignées en face du tableau noir, le discours de l'institutrice sur les objectifs de l'année (apprendre à lire, à écrire et à compter...). Joseph lui a demandé s'il pourrait jouer et elle a répondu que non, il n'était pas là pour ça.
Comment as-tu amorcé tes recherches ?
On a commencé à chercher les écoles alternatives dans notre région : Montessori, Freinet, Démocratique... Avec en tête l'envie que Joseph ait une approche positive de l'apprentissage, gagne en confiance en lui et ait une enfance plus proche de la nature. On est tombés sur l'école Montessori les Mimosas, en bord de mer à Larmor-Baden (on habite en Bretagne). On a visité l'école et on a eu un vrai coup de coeur : le cadre incroyable avec la mer au bout de la rue, le potager dans la cour, les classes avec le matériel Montessori qui m'ont rappelé mon enfance, l'ambiance familiale où tout le monde se connaît, et les enfants, libres et joyeux, qui venaient parler sans crainte aux adultes. On a rencontré la directrice, et elle a accepté de faire rentrer Joseph en CP là bas. Il y est toujours 4 ans plus tard, et son petit frère l'a rejoint en maternelle.
Pourquoi les écoles Montessori sont-elles majoritairement des écoles privées ?
Presque toutes les écoles Montessori sont des écoles privées, car c'est une pédagogie qui nécessite du matériel spécifique et une formation particulière des enseignants, et à part quelques rares exceptions, le ministère de l'éducation ne les finance pas. Les écoles privés hors contrat sont complètement indépendantes, ce sont des entreprises ou des associations. Elles sont simplement contrôlées par des inspections du rectorat, pour s'assurer qu'elles respectent le programme et les règles de sécurité, mais elles ne bénéficient d'aucune aide financière. Il existe par ailleurs de nombreuses écoles Montessori catholiques "sous contrat" (les frais de scolarité sont donc souvent moins élevés), car l'enseignement catholique est favorable à cette pédagogie.
Joseph est dans une école une école Montessori laïque hors contrat. Comment s’organise-t-elle ?
Il s’agit d’une association parentale : des parents se sont réunis il y a 10 ans pour ouvrir ensemble une école alternative. Ce sont des éducateur·rice·s salarié·e·s qui enseignent dans les classes, les parents s'investissent au quotidien dans l'école pour gérer les fonctions administratives, les travaux, des ateliers dans les classes, des grands ménages à chaque vacances scolaires... Cela permet de garder des frais de scolarité moins chers que dans le cas d'écoles “entreprises” complètement gérées par une équipe salariée. C'est une toute petite école, ils sont 35 élèves répartis dans 2 classes (3-6 ans et 6-11 ans).
Comment pourrait-on résumer la pédagogie Montessori ?
Concernant Montessori, on pourrait résumer la pédagogie par une phrase "apprend moi à faire seul". Il s'agit d'apprendre à son propre rythme, de manière autonome, pour comprendre en profondeur. Les apprentissages se font à travers du matériel sensoriel, qui permet de ressentir avec son corps (les lettres rugueuses, ou des bouliers pour apprendre à compter).
Pourrais-tu nous décrire une journée ou une semaine type de ton fils ?
Joseph a 9 ans, il est en CM1 et il est dans une classe primaire multiniveaux (de 6 à 11 ans, CP au CM2).
Le matin, il commence à 8h30, il commence par un temps de lecture. Chacun prend un livre et lit 15 minutes. Les plus petits lisent à haute voix avec un adulte. Ensuite, il peut choisir le travail qu'il va faire selon son envie du moment (en accord avec son éducatrice qui lui donne des consignes selon son stade d'apprentissage). Il y a du matériel dans des étagères tout autour de la classe, à hauteur des enfants, (des bouliers pour apprendre les mathématiques, des formes géométriques en bois, des puzzles des continents où chaque pays est une pièce, des boîtes de grammaires avec des formes pour apprendre les adjectifs, verbes, adverbes, etc...). S'il n'arrive pas à faire un travail, il demande à son éducatrice de lui expliquer (dans le jargon on dit qu'elle lui fait une "présentation") ou bien à un autre élève qui a déjà abordé cette notion.
A midi, ils vont chercher leur "lunchbox" (pas de cantine, on prépare un pique nique chaque matin) et ils déjeunent dehors dans la cour sur des grandes tables en bois et ils ont 1h30 de récré dans la cour.
L'après-midi cela dépend, parfois ils reprennent le travail, parfois il y a sport ou des activités proposées par certains parents (cours de yoga, ateliers philo, développement informatique). L'école se termine à 16h30. Après il y a un temps périscolaire pour ceux dont les parents ne peuvent pas venir tout de suite, jusqu'à 18h. Il y aussi une cuisine pédagogique dans l'école, où ils préparent les gâteaux d'anniversaire, du pain...
Quelle est la grande différence avec une école classique ?
La grande différence avec une école classique, c'est que quand on entre dans la classe, chaque enfant est occupé sur une activité différente. C'est une fourmilière, où chacun est concentré sur un travail. A certaines heures il y a un "rassemblement", cela veut dire que l'éducatrice prend un temps pour rassembler la classe et parler d'un sujet (le cadeau de fête des mères, la fête de l'école, ou bien rappeler une règle de discipline ou un aspect planning). Il n'y a pas de récré le matin, les enfants peuvent s'arrêter de travailler pour faire un dessin ou prendre une pause mais il n'y a pas d'horaire imposé pour laisser ceux qui le souhaitent avancer dans leur travail.
Les enfants font aussi des exposés à plusieurs sur des sujets qu'ils choisissent et font des recherches dans des livres ou sur l'ordinateur de la classe pour préparer une présentation aux autres élèves. Ils ont des "responsabilités" à faire dans la classe : préparer la collation (découper et éplucher les fruits apportés le matin pour toute la classe), écrire la date au tableau, ranger les fournitures, arroser les plantes…
Chaque jeudi, ils ont un "conseil" pour parler d'un sujet qui concerne tout le monde. Les enfants peuvent à ce moment là parler d'un problème qu'ils rencontrent ou l’éducatrice les amène à réfléchir collectivement sur une difficulté rencontrée dans le groupe (dispute, agitation, rangement…)
Chaque vendredi matin, ils font une promenade à la mer : toute l'école part à pied avec tous les éducateurs pendant 3h.
Sur quels principes majeurs portent le "programme pédagogique" de l'école ?Les apprentissages suivent le socle commun de l'éducation nationale. C'est la manière de les apprendre qui va être différente, en suivant le rythme de chaque enfant. Notre école est très ancrée dans la pédagogie Montessori, toutes nos éducatrices sont formées par l'AMI (Association Montessori Internationale) et nous sommes en lien avec l'ISMM (Institut Supérieur Maria Montessori) qui vient faire des observations à l'école pour les accompagner dans leurs pratiques. L'écologie et la proximité de la nature sont aussi des sujets importants : il y a un potager dans la cour, un compost, et les enfants vont beaucoup en extérieur.
Ne crains-tu pas que ton fils se sente perdu s'il intègre une école classique à l'avenir ?
Non, je ne suis pas inquiète. Tout d'abord parce que c'est ce que j'ai fait pendant mon enfance, en intégrant le collège classique ensuite et que ça s'est très bien passé pour moi. Mais aussi parce que j'ai plusieurs exemples d'enfants plus grands qui ont intégré le collège après la maternelle et le primaire en école Montessori et pour qui ça se passe également bien. Je pense que si on a de bonnes bases d'apprentissages et de confiance en soi pendant les petites classes, on s'adapte facilement ensuite.
Quels impacts positifs vois-tu sur ton fils depuis qu'il est dans cette école ? Plein de choses ! Il est très épanoui, il a appris à lire et à écrire, il a beaucoup grandi en trois ans. Il est tourné vers les autres, il n'a pas peur des adultes, il parle sans difficulté avec tout le monde et il est déjà très averti sur les questions de justice, d'égalité, le combat contre le racisme, la pauvreté (ça vient sans doute aussi de notre famille mais c'est nourri par l'école).
A l'inverse as-tu des craintes, des déceptions, des interrogations sur certains aspects ?
Une des difficultés, c'est le tout petit effectif de l'école. Il n'y a que 3 élèves de son âge. Donc quand il ne s'entend pas bien avec certains, ou si un de ses bons copains quitte l'école, ça peut être difficile pour lui. Une année, il y a eu des effets de "bande" dans les enfants, avec des disputes entre deux groupes, et il était très malheureux de ne plus pouvoir jouer avec ses copains. J'imagine que ce serait le cas aussi à l'école classique, mais le tout petit effectif fait que c'est compliqué à gérer car il y a peu d'enfants.
L'autre aspect négatif c'est la fragilité de l'école : c'est une toute petite structure, qui connaît des crises humaines, financières, moins stable qu'une école publique qui existe depuis toujours. Il y a beaucoup de turnover dans les familles : les gens qui choisissent ce type d'éducation sont très exigeants avec l'école et si ça ne répond pas parfaitement à leurs attentes, ils partent. En moyenne les gens restent 3 ans (il y a des enfants qui font toute leur scolarité, mais ce n'est pas la majorité). Ce que je crains le plus, c'est que cette formidable aventure humaine s'arrête un jour !
Quels rôles jouent les parents au sein de l'école et après l'école ?
Un des points très positifs pour moi c'est qu'il n'y a pas de devoirs le soir ! J'ai connu ça aussi pendant toute mon école primaire et je trouve ça génial de pouvoir jouer le soir, aller se promener, profiter de sa famille... Sur la cohérence avec la parentalité, ce n'est pas un problème pour nous, bien au contraire, c'est ce qu'on est venus chercher. On est très alignés avec les éducatrices qu'a eu Joseph, on s'est sentis écoutés quand il y a eu des problématiques.
En revanche, pour les parents c'est une énorme implication de faire le choix d'une école associative parentale. On doit donner environ 30h / an de temps à l'école (travaux, ménage, tâches administratives...) et certains parents donnent beaucoup plus. Je me suis investie pendant un an dans le conseil d'administration de l'école, c'était à la fois un très bel apprentissage humain, la gestion d'un collectif associatif, très différent de ce que je connaissais dans le monde de l'entreprise, mais c'était aussi un vrai challenge à gérer en parallèle de tout ce qui remplit déjà nos vies pro et familiale.
C'est un choix financier impliquant (autour de 300-400€ / mois / enfant), du temps à donner, les lunchbox à préparer... Parfois avec mon mari, on se dit que ça fait beaucoup de charge mentale pour nous et on pense alors à l'école publique :)
Quels sont les retours de ton fils au sujet de l'école ? Te raconte-il des choses ? T'en apprend-il d'autres ?
Il va à l'école avec plaisir (presque) tous les matins. Il dit qu'il adore son école et qu'il veut y rester le plus longtemps possible. Il nous raconte souvent des choses qu'il a découvertes à l'école (des roches découvertes pendant les promenades du vendredi matin, des discussions des ateliers philo...). Tout n'est pas toujours tout rose, il y a aussi des situations d'injustice, des disputes, un peu de violence dans la cour, mais ça fait partie de la vie en société et il en parle avec beaucoup de liberté et de réflexion sur les situations.
Et pour vous faire votre propre opinion, aller à la rencontre de cette pédagogie, et visiter des établissements près de chez vous, nous avons réuni quelques ressources :
- Comment choisir son école Montessori par l’Association Montessori de France (AMF)
- Liste des écoles Montessori adhérentes à l’AMF et Carte des écoles alternatives (plus de 1000 écoles !)
- Notre article sur le documentaire “Révolution Ecole” et l’histoire des pédagogies nouvelles
- Livre “les Lois Naturelles de l’enfant” par Céline Alvarez, éditions Les Arènes
- “Avoir raison avec Maria Montessori”, une série de 5 podcasts de 30’ sur France Culture pour connaître la vie de Maria Montessori, les origines de sa méthode, jusqu’aux écoles Montessori d’aujourd’hui
- Enquête du magazine Milk sur les pédagogies alternatives